« Vous voyez, je suis encore là » 1/2

[ Août 2017 ]

C’était le milieu de l’été. Une maison improbable, cachée parmi les arbres. J’y ai rencontré Jean et Marie, embarquée par un homme qui les avait aidés à traverser la tempête, quelques années auparavant. Pas de celle qui fait tomber les arbres et étête les cheminées par une nuit de décembre, non. Une tempête bien plus cruelle, qui arrache l’intérieur.

On m’avait prédit une rencontre sympathique, chaleureuse, presque familiale, et puis on m’avait prévenue, ça sera peut-être un peu périlleux par endroits par moments, mais qu’importe, on sera ensemble, alors on sera plus forts, tu verras.

Alors j’ai vu.

Les promesses furent tenues, tout y était. Accueillie par les chats de la maison et cueillie par le soleil de la montagne. De la famille invitée à la hâte, parce que “il sera là ce week-end”. Agréable soirée, remplie de ces choses si rassurantes parce que si banales et familières. Imagine un peu : on ouvre une bouteille, on la goûte, on fait la grimace, on la jette à l’évier. On valide une autre cuvée, on partage un plat familial, on raconte des anecdotes ; on donne des nouvelles, on en prend, on parle des absents, des qui-auraient-voulu-venir-mais-ne-pouvaient-pas, des qui-viendront-demain-quand-même, on raconte, on questionne, on découvre. On m’accueille avec bienveillance. On rit. On trinque. Une nuit dans la quiétude vosgienne, des odeurs de cuisine, de café au réveil, une balade matinale sur les sommets, encore du soleil, encore de la famille. De l’ordinaire profond et chaleureux, et je t’en prie ne me fais pas l’affront de trouver cela insignifiant. Tu te trompes, c’est précieux comme une pierre éclatante. Mais attends un peu.

La soirée se déroulait, joyeusement banale. Banale, si ce n’était l’ombre de Julien qui s’échappait si souvent de la bouche de Marie, flottait un petit moment dans l’espace au-dessus de nos têtes, répandant tantôt de la joie, tantôt de la nostalgie, et, il faut bien le dire, parfois aussi un peu de tristesse. L’ombre flottait donc, là, dans la pièce, sortant toute chaude des entrailles de Marie, pour aller finalement rencontrer les yeux à demi-clos de Jean. Julien faisait ainsi l’aller-retour entre ses parents, il poursuivait sa vie, cahin-caha, ré-enfanté par la douceur de la voix de sa mère et accueilli en silence par les yeux de son père. Ce faisant, pendant qu’il flottait, il narguait l’assistance, semblant dire “Vous voyez, je suis encore là”. L’assistance se laissait faire – que pouvions-nous faire d’autre ? Nous ne voulions rien faire d’autre.

[…]

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