A défaut de pellicule

Parfois, on efface malencontreusement des photos de sa carte mémoire. Et on regrette immédiatement. J’expliquais récemment à mon fils, à qui la mésaventure est arrivée, que ce qui compte c’est d’avoir vécu le moment : pas forcément besoin de photos pour se remémorer l’anniversaire de Bidule, ou la randonnée avec Machin.

A Noël je répétais donc ceci à ma mère, après qu’elle avait fait la même erreur de manipulation : “Laisse tomber : les souvenirs, c’est dans la tête ! »

Bon, comme elle – comment dire – euh (je veux dire : elle a vu le premier homme marcher sur la Lune et De Gaulle lui a caressé la joue, faites le calcul), on sait jamais : je vais me permettre d’aider un peu son cerveau. A défaut de pellicule, des mots.

Morceaux choisis.

“Tout le monde dehors, on va faire une photo! D’abord foyer par foyer, comme ça vous pouvez enlever les masques”

“Voilà, maintenant remettez-les on fait une photo de groupe; papy va mettre le retardateur”

“Chouette j’aurai pas besoin de sourire pour une fois”

“Les petits devant!”

“On a dit les petits, pas les plus jeunes ; c’est pas forcément les mêmes je vous rappelle”

“Gna gna gna”

“Ça clignote là?”

“Non!”

“Pourquoi il marche pas le retardateur ?”

“C’est dans menu”

“Ça fait quoi, 5 ans qu’on fait des photos avec retardateur et papy il sait toujours pas le mettre du premier coup”

“Ah ça y est ça clignote! Viens prendre ta place. Vite, vite ! Mais doucement ! Sinon tu vas réveiller ton lumbago”

“Regardez, on aura un lutin sur la photo : c’est l’élastique du masque de papy qui lui plie l’oreille! mais que la gauche!”

« Oui, mais si j’accroche les élastiques avec un lien il remonte sur ma tête et je ressemble à un Teletubbies ».

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“Mamie, on ouvre quand les cadeaux?”

“Je sais pas ma chérie. Attends, je vois avec les adultes et on te redit. Tu peux aller jouer dans le salon avec les autres en attendant.”

“Bon, les grands, il est 19h. On fait quoi : on mange maintenant ou on ouvre les cadeaux d’abord?”

“On pourrait manger dans 10 min, le temps de cuisson du riz.”

“Oui mais les enfants veulent finir leur partie”

“Et depuis quand c’est les enfants qui décident ici? Les enfants, à taaaable!!”

“On arrive!”

“Merde la grosse casserole est dans le lave-vaisselle ; qui se termine dans 40 minutes.

“Bon les enfants fausse alerte, vous pouvez reprendre votre partie”

“ Ok!!”

“Ils sont pas chiants dis donc! Et ils jouent à quoi d’abord ? Faut les voir, tous les cinq étalés dans le salon, chacun le nez sur un téléphone, mais ils s’interpellent et ça se marre bien.”

“Oui c’est un jeu coopératif en ligne, gros succès du moment.”

“Ou alors on ouvre entre adultes maintenant, on mange, et on fait ouvrir aux enfants ensuite? Ou l’inverse du contraire?”

“Les enfants, vous voulez ouvrir vos cadeaux maintenant ou après?”

“fhrafgtgmaintprèsfzefnrg!!!”

« Ah si, ils sont un peu chiants quand-même »

“De toute façon depuis quand c’est les enfants qui décident ?”

“Ah ben non, le lave-vaisselle est terminé en fait. Ou alors ça fait déjà 40 minutes qu’on tergiverse ?”

“Mais alors dans 10 minutes on fait quoi, on mange les cadeaux ? on ouvre le riz ?”

“Ben je sais pas, les enfants, vous avez faim?”

“Oui”

“Non”

“Bof”

“Quoi?”

“ – est monté faire du piano-”

“Mais depuis quand c’est les enfants qui décident ?”

“Bon alors qu’est-ce qu’on fait ? Je suis perdue là”

“Tu veux pas relancer un lave-vaisselle, ça nous laissera du temps pour réfléchir.”

“Ah donc t’as préféré faire sauter les plombs plutôt, c’est original. Mais ça marche aussi tu me diras. Enfin, sauf pour faire cuire le riz.”

Moralité : il nous aura pas empêchés de nous marrer en 2020, le maudit virus. Par contre, on a eu un peu faim.